Le Tretryakova était un bar à vampire. C’était le genre d’information qu’on finissait par acquérir assez rapidement dans cette ville, mais il avait fallu un moment pour que Fenrir s’en rende compte. Elle était passée dans le quartier plusieurs fois depuis son arrivée à Moscou mais n’y avait jamais vraiment fait attention. Et depuis qu’elle avait obtenu l’information, elle se demandait à quoi un bar à vampire pouvait bien ressembler. Est-ce que c’était un bar classique mais avec uniquement des vampires dedans – est-ce qu’ils avaient besoin de boire d’ailleurs ? – ou bien est-ce que chaque table était décorée d’un mortel jeune et beau prêt à être bu jusqu’à la dernière goutte de sang.
La louve se faisait sans doute des idées, mais elle était curieuse. Le concept d’un lieu dédié uniquement à ses créatures de la nuit l’intriguait. Il lui fallait trouver des activités en dehors du museum de toute façon. Aller embêter les chauves-souris dans une de leurs antres paraissait parfaitement raisonnable à la divinité. Fenrir n’était pas du genre à faire dans la dentelle de toute façon. Alors, il lui avait fallu quelques jours, mais elle avait fini par prendre sa décision. Le soir, après en avoir terminé avec le boulot, elle allait tenter de rentrer dans ce bar et voir ce qu’il en était exactement.
Elle avait oublié de prendre en compte le videur.
« Vous allez sérieusement m’empêcher de rentrer ? » L’homme qui lui faisait face était grand et imposant. Ce n’était pas peu dire, car Fenrir donnait en général l’impression d’être grande, qui que soit la personne à qui elle parlait. Pourtant le videur la regardait avec méfiance. Elle devait faire une tête de moins que lui, mais elle dégageait tout de même une impression de menace à laquelle même les vampires pouvaient être sensibles. Moins que les mortels, mais suffisamment pour qu’il se méfie d’elle, sans rien connaître sinon le fait que cette jeune femme n’était pas une vampire.
Fenrir poussa un soupir exagérément long. « J’ai vraiment l’air d’être venue pour causer des ennuis ? » Elle avait pris soin de s’habiller comme si elle sortait simplement en ville. Jean moulant, débardeur gris au léger décolletée et veste de cuir sous le bras. On aurait pu croire qu’elle partait en chasse dans les bars de la ville, mais dans ce cas elle aurait sans doute choisi un autre endroit. Or, Fenrir voulait rentrer ici. Malheureusement, elle était plus douée pour faire peur aux gens que pour les séduire ou les convaincre de quoi que ce soit.
Soupirant de nouveau, elle rajusta machinalement une mèche de cheveux noirs, dégageant un peu un œil gris qu’elle posa aussitôt sur le videur. Si elle était son père, nul doute qu’elle serait déjà à l’intérieur, au moyen d’un stratagème intelligent et sans doute amusant. Mais la subtilité, ce n’était pas son fort. « Ma maîtresse est à l’intérieur. » déclara-t-elle soudain, tendant le cou comme pour lui montrer où elle se faisait prélever le sang. Elle tenta de mettre toute sa conviction dans cette phrase, influençant la réalité comme son père l’aurait fait. A la place, cela fit hausser un sourcil amusé au videur vampire. Il l’observa de haut en bas, se demandant encore pourquoi il ne la sentait pas. Elle avait l’air assez normale, comme ça. Peut-être un peu grande, un peu plus forte que la moyenne, ses muscles visibles sous sa peau pas assez pâle pour être morte.
« Si vous ne me laissez pas rentrer, vous vous expliquerez avec elle ensuite. » Elle bluffait complètement mais supposait que certains vampires avaient bien des mortels qu’il utilisait régulièrement comme source de sang. Fenrir avait jugé que se faire passer pour une mortelle plutôt que d’annoncer au monde qu’elle était une divinité aurait plus de chance de fonctionner.
Il finit par se décaler. Presque vexée, la jeune femme s’avança à grands pas vers la porte et entra enfin. Aussitôt, elle sentit les regards se tourner vers elle et se sentit sourire. Un vivant qui pénétrait dans la salle. Elle la balaya de son regard gris, cherchant une place. Elle aviserait de ce qu’elle ferait au fur et à mesure.
La soirée était calme. Les clients ne causaient pas d'ennuis et j'étais tranquillement installée à une table, observant tout ce petit monde s'affairer à consommer leur commandes. Une bonne petite clientèle qui faisaient les affaires du bar. Un bar auquel j'avais décidé, à sa création, de donner mon nom. C'était toujours mieux que "bar à vampires". Bien évidemment, le sang que je distribuais n'était pas aussi bon que celui tout juste sorti d'une gorge bien juteuse, mais certains passaient de bons moments ici. Pour ceux à qui ça ne plaisait pas, ils savaient où était la porte, et pour les troubles fête, ils étaient virés sans ménagement par la sécurité. Puissent-ils seulement passer la porte, mon videur faisait très bien son boulot. Alors certes c'était un bar à vampires, mais les autres créatures (si tant est qu'elles ne soient pas hostiles) pouvaient toujours venir, bien que c'était plutôt mal vu ici. Les vampires venaient ici pour être entre eux après tout, tranquilles. Alors lorsqu'un non-vampire pénétrait dans le bâtiment, ça se remarquait directement.
Je décidais alors de me retirer dans mon bureau, d'où je pouvais voir et l'intérieur, et l'entrée du bar, grâce aux caméras de surveillance. De là, je pouvais surveiller les entrées et sorties des clients, et également inciter mon videur à laisser passer quelqu'un ou, au contraire, à les refouler. Et justement, il se passait quelque chose à ce moment là à l'entrée. Une jeune femme cherchait à pénétrer dans le bar, mais le videur semblait réticent. Il ne pouvait y avoir que deux possibilités: soit la tête de la jeune femme ne lui revenait pas (dans quel cas je sévirais, je n'aimais pas le délit de faciès), soit elle n'était pas vampire. Elle semblait vouloir rentrer à tout prix, et elle s'y donnait à fond. J'entendais tout ce qui se disait grâce au micro que portait le videur, et cette scène était plutôt amusante. Elle prétendit que sa maîtresse était à l'intérieur, tout en tendant le cou. Je lâchais un léger rire, et mon videur non plus n'était pas dupe. Elle était amusante, peut-être qu'elle devait passer, après tout. Je communiquai donc avec mon videur.
- Laissez la entrer.
La scène fut cocasse, mais il était temps d'obtenir des réponses. Pourquoi tenait-elle tellement à entrer ? Voilà une question que je pourrais lui poser. Je me levais alors de mon siège pour aller rencontrer mon invitée personnellement. Je me dirigeais vers cette maligne, il était temps de savoir ce qu'elle faisait là. Pour la trouver, je n'avais qu'à suivre les regards pour la trouver, les gens remarquaient vite quand il y avait un non-vampire dans la salle. J'arrivais donc face à elle. Elle semblait curieuse... Je l'étais aussi.
- Bonsoir. Que puis-je pour vous ?
Vampire ou non, c'était pareil, je devais me montrer courtoise. Mais si vraiment elle n'avait rien à faire ici, je la guiderais vers la sortie. D'un hochement de la tête, j'invitai la nouvelle arrivante à me suivre.
- Venez, allons nous asseoir, ce sera toujours mieux que de rester ici debout.
Je la guidais jusqu'à une table, puis l'invitai à s'asseoir d'un geste de main. La table était débarrassée, mais visiblement la personne qui s'en était chargée avait oublié quelque chose: le paiement. Les billets étaient encore sur la table, je lâchais alors un soupir, avant de me mettre à pianoter avec mes doigts.
Fenrir se doutait bien qu’elle attirerait l’attention dès qu’elle rentrerait dans ce genre d’endroit. La plupart des créatures étaient capables de se reconnaître entre elles et c’était d’autant plus facile pour les vampires puisque leur particularité était d’être morts. Une vivante ne pouvait donc qu’attirer l’attention dans leurs rangs. Elle s’en fichait. La louve était habituée à attirer l’attention. Pour les mortels, elle dégageait souvent une aura intrigante, parfois menaçante, parfois attirante. Mais il était très difficile pour elle de ne pas se faire remarquer. Elle devait faire des efforts. Aujourd’hui, elle n’en faisait aucun.
La jeune femme – ou du moins celle qui en avait l’apparence – se tenait encore proche de l’entrée. Balayant la salle du regard, elle donnait l’impression de toiser l’endroit et tous ceux qui s’y trouvaient. Une attitude assez folle pour une mortelle, mais Fenrir n’en était pas vraiment une après tout. Elle avisait une table quand un autre mouvement attira son attention : une silhouette qui approchait d’elle. Le temps qu’elle se tourne vers elle, la blonde était déjà là. Serveuse peut-être, ou barmaid, ou proprio. Elle semblait venir spécifiquement pour Fenrir, ce qui ne manqua pas de faire sourire la louve.
« Bonsoir. Je ne sais pas… encore. » Sans se gêner, elle l’observa de haut en bas, puis de bas en haut. Une vampire, clairement. Mignonne, quoiqu’un peu pâle. Beau visage et corps intéressant. Et avec l’air de vouloir prendre la direction des choses à partir de maintenant, ce qui ne la rendait que meilleure. Mais Fenrir n’était pas là pour chasser.
La divinité ne protesta pas, ni ne fit la moindre remarque de mauvais goût. Elle se laissa gentiment conduire jusqu’à la table choisie par Anya. La brune haussa un sourcil en observant l’argent encore posé sur le bois, mais encore une fois elle resta silencieuse. Fenrir tira simplement une chaise à elle et se laissa tomber face à la blonde. La louve débarquait ici pour la première fois, mais elle s’était installée comme si le bar lui appartenait. Enfoncée dans sa chaise, elle offrit un large sourire à la vampire.
Son regard gris clair passait doucement de la petite somme de monnaie aux doigts de la créature qui s’était mis à tapoter sur la table avec insistance. Elle se demandait qui était cette femme. Vu la direction que prenait la conversation, la louve supposa qu’il s’agissait de la gérante ou de la propriétaire de l’établissement. Cela n’aurait pas été la première fois qu’elle attirait ce genre d’attention. Déposant sa veste de cuir sur la table, Fenrir s’installa plus confortablement et laissa de nouveau son regard tomber sur la vampire. Elle pesait le pour et le contre, se demandant comment elle devait se présenter et présenter les choses.
« La curiosité. » finit-elle par répondre, calmement. Il n’y avait pas de raison de mentir après tout, mais pas de raison d’en dire trop non plus. C’était vrai, Fenrir ne venait ici que parce qu’elle se demandait à quoi un coin comme ça pouvait ressembler. Restait à voir comment les vampires prenaient la chose, mais en tout cas elle ne semblait pas inquiète le moins du monde. « Je n’ai jamais visité de bar qui soit "purement vampire" vous voyez ? »
Elle ne savait pas encore ce que je pouvais faire pour elle ? Au moins elle était franche. Mais que faisait-elle ici ? Nous y reviendrions. Pour l'instant, elle me dévisagea de haut en bas, sous toutes mes coutures. Je ne pouvais pas dire qu'elle me dérangeait, mais même si elle était jolie et que j'avais toujours préféré les femmes, je ne pouvais pas dire qu'elle m'attirait, sexuellement parlant, étant donné que je ne ressentais rien de sexuel. Dans l'immédiat, en tout cas. Elle m'avait suivie sans rien dire jusqu'à cette table, cette table où l'un de mes employés avait distraitement oublié de prendre le paiement. J'allais devoir avoir une petite explication avec la personne concernée quand j'aurais revisionné les vidéos afin de savoir qui est concerné. Alors certes ce n'était qu'une petite somme, mais on en est toujours là. Une petite somme plus une petite somme plus encore une petite somme... Et bien au bout d'un moment ça fait une grosse somme. Je ne ramassais pas toutefois l'argent tout de suite. Je voulais voir quelle serait la réaction de mon interlocutrice. Histoire de la tester, un petit peu. Voir si elle allait essayer de s'emparer de l'argent, ou pas.
Mais alors que je commençais à pianoter sur la table, elle avoua que c'était la curiosité qui l'avait amenée ici. Claire et net, elle ne passait pas par des petits chemins, elle allait droit au but, j'aimais ça. Elle continua en précisant qu'elle n'avait jamais visité de bar purement vampire, ce qui me fit légèrement froncer les sourcils.
- Ce n'est pas un musée ici. C'est comme n'importe quel bar, à part que nous proposons des saveurs spécialement vampiriques, si vous voyez ce que je veux dire.
Je tournais la tête pour regarder ce qui se passait autour de nous. L'excitation liée à l'entrée de la "non-vampire" était retombée, et les gens vaquaient désormais à leurs occupations.
- Mais nous pouvons également nous contenter de boissons sans y rajouter du sang, ici c'est selon les envies, le client est roi.
Des gens riaient à droite, discutaient à gauche, l'ambiance était bonne-enfant, et j'étais contente que ce soit une soirée où personne ne finissait dehors à coup de pied aux fesses. Je gardais cependant mon sérieux, je devais rester professionnelle.
- Tant qu'on en est là, vous voulez quelque chose à boire ?
Fenrir se vantait d’avoir toujours été plus ou moins neutre vis-à-vis des créatures qui peuplaient ce monde, y compris les mortels. N’étant pas dépendants de leurs prières pour tirer sa force, le loup gigantesque ne cherchait pas à s’attirer leurs faveurs, et elle ne les considérait pas non plus comme des bêtes à sacrifier pour son plaisir. Quant aux vampires, elle ne s’était jamais trop intéressée à eux. Tout ce qu’elle savait, c’est qu’ils étaient des créatures morts-vivantes. Elle savait à peine d’où ils venaient, même si on lui avait expliqué un jour, il y a bien longtemps. En fait, elle se souvenait que certains de ses descendants, ceux qui se faisaient appeler lycans, avaient une forme de rivalité avec ces vampires. Elle ne comprenait pas pourquoi et s’en fichait ouvertement.
Tout ce qu’elle savait d’eux, c’est qu’il s’agissait d’esprits fiers. Et cette jolie jeune femme semblait le confirmer aujourd’hui, à voir sa réaction quand elle lui avait annoncé venir par pure curiosité. Cela ne fit que sourire Fenrir. La divinité ne craignait pas de la vexer, ou de se faire des ennemis. Quand on avait son âge, on n’en craignait pas ce genre de chose, même de la part de créatures immortelles. D’ailleurs, maintenant qu’elle y pensait, la blonde n’était sans doute pas aussi jeune qu’elle le laissait paraître. Elle n’avait sans doute pas non plus l’âge de la louve, mais celle-ci n’aurait pas été étonnée d’apprendre qu’elle avait quelques siècles d’existence derrière elle.
Pour l’heure, Fenrir restait sagement silencieuse, écoutant ce que l’autre avait à lui dire. L’ancienne divinité ne craignait pas grand-chose, mais ça ne l’empêchait pas de vouloir éviter les ennuis. Elle n’était pas venu ici pour chercher des noises à qui que ce soit. Même si, elle en avait conscience, elle pouvait donner l’impression d’avoir un peu trop confiance en elle. Ce n’était pas entièrement de sa faute, c’était simplement ainsi qu’elle se comportait en règle générale. Quand elle rentrait quelque part, elle était chez elle. Et elle parlait toujours avec une assurance digne d’une reine, mais une reine qui aurait oubliée ses manières. Cette fois, elle pesait donc prudemment ses mots. Les esprits fiers étaient souvent les plus faciles à vexer et ce n’était pas dans son objectif. Et ça aurait été dommage de faire bouder un si joli minois.
« Avec plaisir. Un peu d’hydromel. Ou un whiskey, à défaut. » répondit-elle au bout de quelques secondes. Elle avait considéré la question quelques temps mais maintenant qu’elle était là, autant profiter de ce que le bar avait à offrir. Ce qui incluait les boissons mais aussi la blonde qui était venu lui parler.
Après lui avoir parlé une poignée de minute, Fenrir était maintenant persuadée que cette femme était plus qu’une simple serveuse ici. Probablement la gérante ou la propriétaire.
« Si ce n’est pas un musée, je vous promets que je ne regarderai pas trop intensément. » fit-elle, un sourire aux lèvres. « Je vais me contenter de profiter des boissons, en espérant que vous fassiez honneur à votre réputation. »
La louve se laissa couler plus loin dans son siège, relevant des yeux gris intenses sur la jeune femme. Elle avait promis d’être sage mais elle était tout de même curieuse de voir ce qu’on allait lui dire.
La femme en face de moi (je préférais ne pas utiliser le terme "jeune" car j'ignorais même si elle était humaine, même si elle ne l'était sûrement pas, pour venir avec une telle assurance dans un bar à vampires) demanda de l'hydromel ou un whisky. Je me levais donc afin d'aller lui chercher ça.
- Vas pour un whisky.
Pendant ce temps, je ne la quittais cependant pas des yeux. Je ne connaissais pas ses véritables intentions, donc je la gardais à l'oeil, pendant que je préparais son whisky. Que faisait-elle où regardait-elle ? Des clients entrèrent, mais je ne pouvais pas tous les accueillir personnellement. Pour l'instant, ma priorité était la non-vampire. Une fois le verre rempli, je revins vers elle, posant le verre devant elle, avant de revenir m'asseoir à ma place.
- Regarder n'est pas dérangeant en soi, faites juste attention à ne pas provoquer une bagarre pour un regard de travers.
Les bagarres... La hantise de tout gérant de bar. Ce genre de choses pouvait gâcher une soirée, personne ne veut de ça. Les gens pouvaient s'avérer très sensibles à la manière dont on les regardait. Un regard mal placé pouvait prendre un air de défi. Je regardais autour, justement pour vérifier que tout était calme. Mon téléphone vibra alors.
- Excusez moi.
Cela pouvait être important, alors je pris l'initiative de m'excuser avant de regarder le message. Bon, c'était une serveuse qui m'informait qu'elle aurait des difficultés à être présente. L'important était qu'elle avait prévenu, mais ce serait évidemment ça en moins sur son bulletin de paie. Je posais alors mon téléphone sur la table pour revenir à mon interlocutrice.
- Vous connaissez ce bar depuis longtemps ?
J'étais étonnée qu'elle parle de ma réputation alors que le bar était encore relativement jeune (depuis que le gouvernement permet l'exploitation des humains). Je jetais alors mon regard ailleurs, une bagarre, j'avais parlé trop vite en parlant du calme de l'ambiance. Je me levais alors en quatrième vitesse pour aller séparer, avant que mon videur n'arrive pour virer ces deux brutes. Je revins ensuite vers la non-vampire.
- Désolée, ces histoires sont agaçantes. Où en étions-nous ?
Restant sagement à sa place, Fenrir se contenta de suivre du regard la jeune femme qui semblait décidée à s’occuper d’elle. Bien sûr, elle s’autorisa à observer le reste du bar d’un air vaguement intéressé, mais puisqu’on s’était apparemment décidé à s’occuper d’elle, la louve pouvait bien donner sa pleine attention à la jolie blonde. La grande brune réfléchissait en l’observant. Définitivement cette femme était la gérante, ce qui la faisait se questionner. Elle se doutait qu’elle attirerait l’attention en rejoignant ainsi un bar pour vampire, mais elle ne pensait que cela mériterait la pleine attention de la propriétaire. Non qu’elle s’en plaignait, bien au contraire. Cela avait quelque chose d’amusant.
Pour l’heure donc, l’attention du loup mythologique était entièrement focalisée sur la jeune femme. Elle suivait chaque mouvement avec une attention quasi prédatrice. En fait, elle ne s’autorisa à lui sourire qu’en voyant le verre être posée devant elle. « Merci bien. »
Elle avait relevé la tête vers elle, mais la retrouva rapidement face à elle. La louve haussa un sourcil, un peu surprise. Est-ce qu’il était vraiment possible de provoquer une bagarre ici ? Elle ne connaissait pas bien les coutumes vampiriques, mais elle se les imaginait plus proche des nobles que des gueux qui se mettaient à se battre dans une taverne au moindre regard de travers. Cela dit, si on lui donnait cet avertissement, c’est qu’il devait bien y avoir une raison. Fenrir observa la salle d’un regard nouveau, se demandant lesquels étaient bien susceptibles de se battre ainsi. Elle ne cherchait pas naturellement à se battre, mais le loup était un adepte de la guerre et du sang. Il était impossible de renier sa curiosité en la matière.
Son attention revint rapidement à la blonde, occupée à regarder son portable. Définitivement, elle était la propriétaire des lieux. La question lui fit hausser les sourcils, ne comprenant pas pourquoi on lui posait. Elle resta donc silencieuse quelques temps, réfléchissant. Quand elle comprit enfin, il était trop tard. Alors qu’elle ouvrait la bouche, un fracas se fit entendre un peu plus loin, et la gérante fut attirée par une bagarre qui s’était apparemment déclenchée.
Le corps de la brune se tendit brusquement, ses muscles prêts au combat. Son regard gris s’était immédiatement tourné dans cette direction, brillant d’une lueur rougeoyante. Quelque chose en elle ne demandait qu’à participer, mais elle le fit taire assez rapidement, se renfonçant dans son siège pendant que la blonde allait gérer la situation avec son videur. Fenrir s’efforçait de rester gentiment à sa place, attrapant son verre et faisant tourner le liquide ambré entre ses doigts, sans y toucher pour l’instant.
« Mais je vous en prie. » accueillit-elle Anya quand elle fut enfin de retour. La grande brune lui offrit même un sourire compréhensif. « Je vois que vous savez gérer ces situations. » Elle jeta un regard distrait au reste du bar avant de revenir à elle.
« J’allais vous dire que je ne connaissais que depuis quelques jours. Mais je faisais référence à la réputation des vampires. On dit que vous êtes du genre raffinés. »
Amenant le verre à ses lèvres pour la première fois, la divinité goûta à quelques gorgées. Elle sourit doucement en reposant le verre, laissant ses doigts effleurer le bord du verre. « Je présume que vous êtes la cheffe, ici ? » Fenrir faisait mine de rester calme, mais son corps restait légèrement tendu, comme si elle n'attendait qu'une occasion de s'amuser.
Je me rassis une fois le conflit réglé. Je faisais à nouveau face à mon interlocutrice tandis que cette dernière goûta son précieux liquide. J'acquiesçai lorsqu'elle constata que je savais gérer ces situations. A vrai dire, j'avais horreur de ce genre de comportement dans mon établissement. Si les gens ont des comptes à régler, qu'ils le fassent en dehors, je me fichais éperdument de ce qui se passait dehors, mais ici c'était comme chez moi, et on ne se bat pas chez moi.
- Je préfère intervenir avant que ça ne dégénère vraiment et qu'il y ait de la casse.
Mon interlocutrice elle aussi détourna un peu la tête afin de scruter la situation autour de nous. Elle revint ensuite à notre discussion en me disant qu'elle ne connaissait le bar que depuis quelques jours, mais qu'elle faisait référence à la réputation des vampires. Je haussais les épaules, plus ou moins curieuse.
- A vous entendre vous espérez que je vous montre tous les atouts du vampirisme !
Le ton de ma voix pouvait trahir une fausse contrariété, mais en réalité j'étais amusée par le tournant que prenait cette conversation. J'avais toujours quelques questions qui me taraudaient l'esprit. Mais je n'eus pas le temps d'en poser une que mon interlocutrice me demanda si je dirigeais ici.
- En effet. J'ai créé ce bar de toutes pièces. Je ne vous cache pas que je l'ai ouvert après l'arrivée au pouvoir de notre présidente, même si c'est un projet qui date d'un peu plus longtemps. A l'époque, je ne pouvais pas me servir librement des humains sans que ce ne soit répréhensible. Maintenant, je peux faire ça en toute légalité.
Je marquais une courte pause, puis je repris.
- Avec l'expansion du vampirisme, les humains sortent moins la nuit. Du coup ce n'est pas facile d'en trouver, et de s'en nourrir. Ici, j'ai une bonne petite réserve de sang. Mais parlons un peu de vous. Etant donné votre assurance en ces lieux, j'en conclus que vous n'êtes pas humaine, Ensuite, vu le déroulement de notre conversation, je ne pense pas que vous soyez ni lycane, ni sorcière. Sinon je pense que ça se serait déroulé autrement...
Au passage, je glissai dans ma poche le paiement que le serveur avait oublié sur la table, je le mettrais en caisse quand je retournerais au comptoir. Je penchais alors la tête, curieuse d'en savoir plus sur la jeune femme qui me faisait face...
Physiquement, la blonde n’avait pas l’air d’être la plus à-même de stopper une bagarre comme ça, mais Fenrir savait aussi que cela ne voulait pas dire grand-chose quand on parlait de vampire. Comme énormément de créatures surnaturelles, leur force était bien supérieure à celle d’un humain de la même taille et de la même corpulence. Elle se demandait d’ailleurs si tous les vampires avaient une force similaire, ou si ceux qui avaient déjà un corps humain plus musclé et plus fort partaient avec un avantage. C’était le genre de question qu’elle pourrait bien poser, si l’occasion se présentait. Pour l’heure, la louve n’en était pas encore là. Fenrir se contenta de sourire en entendant la jeune femme plaisanter sur l’idée de lui présenter tous les atouts du vampirisme. Elle n’avait pas besoin d’une démonstration, mais une conversation lui aurait tout à fait convenu.
Mais Fenrir ne posa pas la question. Elle venait déjà de questionner la jolie blonde sur le restaurant, elle n’allait pas la bombarder de question immédiatement. Si curieuse soit-elle, la divinité nordique était capable d’apprécier une bonne conversation. Et pour cela, il fallait que les choses avancent progressivement. Elle écouta donc sagement Anya lui confirmer que le bar était bien à elle, avec une certaine fierté compréhensible. Et ajouter qu’elle servait apparemment des humains. La remarque fit hausser un sourcil à la louve, qui tourna un peu la tête pour mieux détailler les différentes boissons dont les habitués du bar profitaient. Elle ne vit pas d’humain, mais pouvait sentir leur sang d’ici. Fenrir n’était pas sûre de savoir ce qu’elle pensait de tout ça. Elle n’avait rien contre les humains, ni pour eux, mais ils restaient d’une certaine façon la source de son énergie.
Que les vampires les utilisent aussi clairement comme de la simple nourriture… Cela avait quelque chose d’étrange, même pour une divinité. Mais il fallait simplement s’habituer aux nouvelles lois russes, décida-t-elle.
Anya finit par aborder le sujet que la louve attendait depuis un moment, aussi poliment que possible. Elle s’était bien demandé pourquoi cela n’était pas venu plus tôt sur le tapis. C’était donc bien pour ça qu’elle avait droit à une conversation avec la propriétaire. Les yeux perçants de la louve s’arrêtèrent un long moment sur le visage fin, à la peau pâle et aux yeux bleus, pendant que la blonde empochait l’argent. Elle tournait doucement la tête, semblant considérer la question, sans se soucier du paiement. Mentir ou pas ? Cela n’apporterait sûrement pas grand-chose, mais ça pouvait toujours être amusant. Finalement, elle se pencha un peu au-dessus de la table.
« Eh bien… Vous n’êtes pas si loin de la réalité. Je ne suis pas lycane, c’est vrai. Mais je suis un peu leur mère à tous… Enfin, leur père. C’est compliqué, peu importe. » Elle évacua la question d’un geste distrait de la main, avant de laisser un sourire fendre ses lèvres. La louve tendit la main, poliment, vers la jeune femme. « Je suis Fenrir. A qui ai-je l’honneur ? »
Comme elle attendait de voir si Anya allait lui serrer la main, elle en profita pour ajouter d’un ton moqueur. « J’espère que cela ne pose pas de problème, sinon je trouverai un autre moyen de connaître tous les atouts du vampirisme. »
Les vampires n'avaient pas les lycans en très haute estime, c'était bien connu. En fait, quasiment tout le monde qui n'était pas vampire les détestait, par jalousie sans doute, tout le monde ne faisait pas partie de l'espèce dominante et heureusement, sinon où trouverions nous nos proies ? Mais mon interlocutrice n'était pas une humaine,ni une lycane, cela ne laissait pas de place au doute, si elle avait été lycane, jamais je ne l'aurais laissée entrer ici. C'est un endroit tranquille ici, pas besoin d'un lycan nauséabond pour venir gâcher la fête.
Bref, après avoir un peu parlé de mon bar et de moi-même, voilà que nous mettions sur la table le sujet de mon interlocutrice. Elle en savait quelques peu sur moi, à moi d'en apprendre plus sur elle. Echange de bons procédés comme on dit ! Elle n'était pas lycane, ça je l'avais remarqué. Leur mère à tous... ou leur père ? J'arquais un sourcil amusé, je devais bien avouer que je ne comprenais pas. Etait-elle asexuée ? C'était peu commun, ça c'est certain. Il y avait cependant une explication possible... Mère à tous, ou leur père... Le "à tous" m'avait interpellée. Il y avait bien cette explication, mais c'était farfelu... Pourquoi une divinité viendrait-elle dans mon bar ? Si elle était une divinité, avait-elle encore une curiosité à assouvir ? Soif de découvertes quand tu as plusieurs millénaires... Ca venait de toucher la mienne, de curiosité. Mais alors que je réfléchissais, mon interlocutrice se présenta sous le nom de Fenrir. Je devais bien avouer que ça me disait vaguement quelque chose, mais que je ne parvenais pas à remettre la main dessus. Je lui serrais alors la main qu'elle m'avait tendue.
- Anya Tretyakova.
Un détail me chiffonnait... Les divinités ne sont pas non plus amies avec les vampires, donc au fur et à mesure que cette idée se confortait dans ma tête, je devenais plutôt méfiante. Il fallait que j'en sois sûre immédiatement.
- Vous avez dû en apprendre un tant soit peu sur les vampires au court de votre vie, non, Fenrir ? Je suis sûre que vous avez eu un peu de temps.
Je n'utilisais pas le terme "divinité", dans le sens où si je me trompais, je ne passerais pas pour une idiote. Mais j'avais évidemment laissé sous-entendre qu'elle était immortelle. Voilà que la curiosité semblait avoir changé de camp... Mon ton était nullement accusateur, mais on pouvait lire un peu de méfiance. du fait qu'une divinité n'était jamais à prendre à la légère...
« Enchantée » avait répondu Fenrir sur un ton étonnamment rieur.
Elle pouvait sentir l’attitude de la vampire se modifier dès qu’elle avait parlé d’être la mère de tous les lycans. Que ce soit ça, ou la révélation de son nom, la blonde était brusquement devenue méfiante. Difficile de dire si c’était parce que le nom de Fenrir lui disait quelque chose ou parce que les lycans n’étaient vraiment pas appréciés des créatures de la nuit. La louve n’avait personnellement jamais compris pourquoi ces enfants avaient cette dent contre les vampires. Mais pour être honnête, elle avait préférée rester à l’écart de ce genre de chose, de ce genre de conflit, depuis des siècles. Alors, elle ne pouvait pas prétendre connaître tout ce qu’il y avait à savoir.
En revanche, elle pouvait tester en ce moment même que ce conflit était bien réel, ne serait-ce que dans ce changement d’attitude chez Anya. Oh, elle restait courtoise, comme tous les vampires se devaient sûrement de le faire. Mais pas besoin d’être un génie pour remarquer qu’elle essayait d’en apprendre un peu plus sur son interlocutrice. Cherchant sans doute à comprendre ce qui l’amenait réellement ici, et si oui ou non elle était une menace. Fenrir pesait doucement le pour et le contre. Que pouvait-elle bien rajouter qu’elle n’ait déjà dit ? Pour l’instant, elle avait dit la vérité chaque fois qu’on lui avait posé une question. Le problème revenait donc à convaincre la vampire de sa bonne foi. Ce qui n’était pas chose aisée pour elle.
« Hum, j’en ai croisé. Mais j’ai surtout côtoyé des humains ces derniers siècles. Je ne me mêle pas beaucoup aux autres… Cette nuit est une exception, comme vous vous en doutez. »
Elle se laissa retomber dans le creux de sa chaise, écartant un peu les bras comme pour montrer qu’elle n’était ni sur la défensive, ni sur le point d’attaquer quelqu’un. C’était la vérité après tout, malgré son grand âge, la louve avait fait de son mieux pour se tenir à l’écart de certains conflits. Et les vampires semblaient être particulièrement doués pour se retrouver au milieu des mêmes conflits. Brusquement, la louve se décida à poursuivre un peu. Faire preuve de bonne foi, pour une fois.
« Il y a des milliers d’années, j’étais encore un loup. Et les dieux ne m’avaient pas encore enfermé. J’ai eu quelques enfants, et leurs descendants sont devenus ceux que vous appelez les lycans. » Elle souriait, satisfaite de son grossier résumé. Derrière elle, son ombre semblait avoir grandie pendant qu’elle parlait, prenant une forme plus animale, plus trapue, avec une gueule monstrueuse qui semblait s’ouvrir pour dévorer quelque chose. Mais il suffisait de cligner des yeux et cette impression était partie, ne laissant derrière elle que cette femme à l’apparence si jeune et aux yeux gris étranges.
« Je n’ai presque rien eu à faire avec leurs affaires depuis cette période » expliquait-elle calmement, comme si toute cette histoire faisait parfaitement sens pour elle. Les divinités avaient parfois un peu de mal à imaginer que les mythes auxquels ils avaient participé pouvaient n’avoir aucun sens pour les mortels. Son père devait être le pire, connaissant les dizaines de formes qu’il avait prise au cours de ses histoires. De son côté, le gigantesque loup était resté simple à ce niveau.
J'étais devenue méfiante, ce qui n'échappa pas à Fenrir. Sans doute comprenait-elle, elle débarquait ici, à l'improviste, et venait faire savoir qu'elle était "le père" de tous les lycans, avouez qu'il y a de quoi se méfier. J'étais légèrement plus crispée qu'auparavant, je savais qu'elle pouvait me neutraliser facilement, mais je restais de marbre au niveau de mon regard, inutile de montrer de la crainte, je ne devais pas, ma réputation en prendrait un coup. La divinité m'annonça qu'elle avait surtout côtoyé des humains, même si elle avait croisé quelques vampires à l'occasion, mais également qu'elle ne se mêlait pas tellement à la foule en général, parlant de cette fois ci comme d'une "exception". Elle m'expliqua ensuite ses origines, me parlant de ses origines de loup, ainsi que de ses enfants et de leurs descendants, ceux qui étaient ouvertement hostiles aux vampires.Je ne pus m'empêcher de voir alors cette ombre. Mais en un clignement d'oeil c'était parti, sans doute m'étais-je fait quelques films. Elle continua ensuite en précisant qu'elle n'avait rien fait avec les lycans depuis.
- Pardonnez moi si je ne vous fais pas totalement confiance. Ce sont vos enfants après tout, on oublie jamais totalement sa famille.
A elle de me prouver que ma méfiance n'était pas légitime, mais une divinité devait en avoir rien à faire en fin de compte. J'espérais juste qu'elle n'attirerait pas ses enfants jusqu'ici, ce serait un carnage. Dans les deux camps, d'ailleurs. Bon, changeons de sujet. Je pris un bout de papier avant d'écrire quelque chose dessus, pour le glisser sur la table juste devant Fenrir.
- Voici la note pour le verre.
Oui, notre discussion ne m'avait pas fait oublier qu'il fallait qu'elle paye, divinité ou pas, elle n'aurait pas droit à un statut privilégié. Je profiterais d'ailleurs de son paiement pour aller encaisser également l'argent laissé sur la table un peu plus tôt, que j'avais glissé dans ma poche. Et, une fois Fenrir partie, j'irais jeter un oeil aux caméras, afin de découvrir qui avait commis cette bourde. Heureusement qu'il n'y avait pas eu de voleur, mais je n'aimais pas ce genre d'oubli. Je me levais alors, pour embarquer le verre que j'allais remettre à la plonge, avant de revenir vers Fenrir.
Fenrir aurait sans doute put se vexer de la méfiance ouverte affichée par son interlocutrice. D’autant plus quand elle se mit à parler de famille. Mais bien au contraire, la divinité se fendit d’un immense sourire, et il fallut toute la volonté du monde pour qu’elle n’éclate pas de rire immédiatement. La louve se contint de son mieux et finit donc par pouffer de rire, cachant son sourire un peu trop grand derrière une main polie. Encore quelques temps après la fin de son fou-rire, elle restait secouée de soubresauts, et tendit l’autre main pour tirer la note vers elle.
« Aah… Je suis désolée, vraiment. » Malgré tout, son ton restait rieur. Elle avait du mal à retrouver complètement son sérieux. La louve attira à elle sa veste de cuir et fouilla quelques secondes dans ses poches pour en tirer quelques billets. Fenrir ne regarda même pas les coupures, les déposant simplement sur la note avant de la faire glisser de nouveau vers Anya. Elle avait enfin repris un peu de sérieux et en profita pour reprendre la parole.
« Vous n’avez pas croisé beaucoup de divinités, si ? les dieux ont des dizaines d’enfants et s’en fichent de tous de façon égales. J’aime bien mes petits lycans, ils sont mignons, mais ils sont des descendants lointains, d’une époque où je n’étais pas exactement celle que je suis à présent. Vous comprenez ? »
Malgré tout, elle n’allait pas en vouloir à la vampire de se montrer un peu prudente. D’autant plus qu’elle connaissait suffisamment bien les autres divinités pour savoir qu’ils n’étaient pas tous aussi aimables qu’elle. La jeune femme n’avait jusque-là rien fait de mal, elle payait sa consommation et discutait aussi gentiment que possible avec la propriétaire des lieux. On pouvait difficilement faire plus amicale. Enfin… Si, on pouvait. Facilement en fait. Mais pas Fenrir. La louve ne savait pas trop s’y prendre dans ce genre de situation. Elle avait toujours tendance à se monter comme « dominante », s’installant chez les autres comme si elle était chez elle. Tout le monde n’était pas fan de ce genre de méthode.
Elle se mit à réfléchir. Ses yeux suivant machinalement la vampire pendant qu’elle s’afférait avec le verre et le paiement. La louve n’avait pas forcément envie de chercher les emmerdes, mais ça ne voulait pas dire qu’elle s’agenouillerait devant Anya au moindre froncement de sourcil. Si jolie soit-elle. Quand la vampire fut de nouveau proche, elle se fendit d’un grand et beau sourire, se penchant un -peu sur la table pour plonger son regard gris dans ses yeux.
« Dites-moi donc, Anya. Qu’est-ce que je peux faire pour vous prouver ma bonne foi ? Je suis gentille jusque-là : je bois, je discute avec vous… Je ne vous retiens pas d’ailleurs ? J’espère que non, ce n’est pas une discussion désagréable. » Parfois, avoir la langue un peu trop directe, ça avait du bon aussi. Au moins, on ne passait pas par quatre chemins.
Elle se mit à rigoler, ce qui ne me plut pas tellement. Alors qu'elle se moquait littéralement de moi, je roulais des yeux, elle s'excusa mais c'était du pareil au même. J'étais partagée, car elle faisait plus de bruit que toute la salle réunie, si on enlève le bruit qu'avait fait le début de bagarre de tout à l'heure. Là, c'était elle qui attirait l'attention, et je n'aimais pas vraiment ça. SI elle avait pouffé de rire, j'étais pour ma part restée on ne peut plus sérieuse. Finalement Fenrir commença -enfin- à se calmer. Elle me demanda si j'avais croisé beaucoup de divinités, avant de préciser qu'elle aimait bien "ses petits" lycans, prétextant qu'ils étaient mignons, mais qu'ils n'étaient que des descendants lointains.
- Mignons je ne dirais pas ça, c'est des sales bêtes. Concernant mon habitude par rapport aux divinités, disons qu'on en croise pas à tout les coins de rue, si c'est ce que vous demandez. En fait... Vous êtes la première que je rencontre. En cent dix ans d'existence. Peut-être en ai-je déjà croisé, mais dans ce cas je l'ignorais.
Autant de pas mentir. Fenrir venait de préparer le paiement, je commençais alors à compter afin de lui rendre le surplus, puisqu'elle avait justement pas regardé combien elle avait mis. Une fois le compte bon, je me levai pour m'occuper du verre et du paiement, que j'allais mettre en caisse tout comme le billet dans ma poche. Quand je revins, Fenrir me demanda ce qu'elle pouvait faire pour me prouver sa bonne fois, ce fut à moi de lâcher un petit rire.
- Rien, Fenrir, la confiance se gagne avec le temps, mais je ne pense pas me tromper en disant que vous le savez. Après tout, une divinité a du vécu, et doit sûrement savoir ce genre de choses.
Elle était directe, ça me plaisait. En même temps, quelqu'un qui peut achever mon existence d'un claquement de doigt a forcément plus confiance en elle...
- Non cette discussion n'est pas désagréable, ce qui est rare avec des non-vampires. En général tout le monde déteste les vampires, donc voilà.
C'est vrai que ce n'était pas commun de discuter comme ça avec quelqu'un qui n'était pas un vampire, mais ce n'était pas une lycane pure et dure en face, elle n'avait pas cette odeur nauséabonde. Je faisais tourner mon portable entre les doigts en discutant avec la divinité, je n'aimais pas rester trop longtemps sans rien dans les mains, c'était comme ça.
Bon, au moins la vampire avait l’air d’être d’accord avec elle sur un point : cette conversation n’était pas désagréable. C’était un début, et une nouvelle que la jeune femme était soulagée d’entendre. Aussi sûre d’elle et confiante que Fenrir pouvait apparaître, elle avait en réalité beaucoup de mal à interpréter et comprendre les émotions des autres. Il y avait les odeurs bien sûr, et le langage corporel, mais c’était assez loin d’être sa spécialité. C’était aussi pour ça qu’elle était aussi franche avec les gens, espérant qu’on lui retourne la politesse et qu’on lui évite ainsi d’avoir à faire un effort. C’était malheureusement d’autant plus dur avec les vampires, qui étaient morts et froids. D’ailleurs, malgré tout ce que disait Anya, elle n’avait pas l’air de se détendre beaucoup. Et Fenrir n’arrivait pas à savoir si c’était parce qu’elle se méfiait encore d’elle comme de la peste ou si c’était parce qu’elle était naturellement ainsi.
De son côté, la louve savait qu’elle pouvait se monter menaçante. Trop sûre d’elle. Trop « Alpha » même si elle n’aimait pas ce terme. Et puis, il y avait ses enfants. Elle ne s’était jamais senti proche de ses enfants, et il semblait qu’ils fassent de leur mieux pour lui compliquer la vie. Si les vampires étaient sans doute ceux qui les détestaient le plus, ils étaient loin d’être le pire. Peut-être aurait-elle dû tenter de cacher son lien avec eux. Mais, encore une fois, mentir n’était pas tout à fait son genre. C’était plutôt la spécialité de son père.
« Vous m’en voyez soulagée, Anya. » reprit-elle après un temps. « Je ne vous déteste pas. Pas plus que je ne déteste vos amis. Comme je l’ai dit : je vous connais mal. Eventuellement, vous êtes plus froid, ce qui ne tient pas chaud l’hiver, mais ce n’est qu’un léger désavantage. »
Elle eut un léger rire, beaucoup plus discret que le précédent, et beaucoup plus rapidement effacé. Ses yeux brillaient légèrement quand ils se posèrent de nouveau sur la jolie blonde, tentant apparemment de l’évaluer. Elle avait donc 110 ans. Bien sûr, elle ne les faisait pas du tout, mais c’était à attendre d’une vampire. Et Fenrir ne faisait pas exactement son âge non plus. 110 ans, c’était assez pour connaître pas mal des horreurs de ce siècle, mais peut-être pas encore assez pour prendre la mesure de la différence entre la durée de vie humaine et celle des immortelles. Il lui faudrait encore une ou deux générations pour cela.
« La confiance peut s’acheter, chez certains. Mais si la vôtre n’est pas à vendre, tant mieux. Je vais m’efforcer de vous prouver que je suis un agneau. » conclut-elle avec un grand sourire plein de dents qui achevait de contrdire les mots précédents.
La divinité poussa un petit soupir, se renfonçant dans son siège. « Vous en avez sûrement croisé d’autres, mais nous sommes assez discrets ces derniers temps. Pour la plupart, nous n’avons pas la force que nous avions, fut un temps. J’ai la chance de ne pas trop dépendre des mortels pour ça. »
Elle parlait sans montrer un grand intérêt pour la question. Fenrir n’aimait pas trop discuter de sa condition de divinité, mais comme Anya avait abordé la question. Et puis, elle lui devait bien ça, comme elle semblait mettre la jeune vampire sur le qui-vive. Cela dit, dès qu’elle le put, la louve se redressa pour changer de sujet, partir sur quelque chose de plus joyeux. « Alors, dites-moi. Que fait-on dans ce bar ? On boit, on discute, ça je vois… Est-ce que ça danse ? Est-ce que ça séduit ? Est-ce que ça s’amuse ? »