Comme un parfum de déjà-vu

Yarilo & Amelia

Y a pas à dire, depuis que je suis là, le département de botanique du Muséum d'Histoire Naturelle ne s'est jamais aussi bien porté. Certes, les botanistes humains ou elfes qui travaillaient ici auparavant étaient talentueux, mais pas un seul ne m'arrivait à la cheville. Et la politique du Gouvernement vampire faisant son oeuvre, l'institution s'était rapidement vidée d'une bonne partie de son personnel qualifié. Désormais les humains étaient confinés dans les emplois peu qualifiés, ici au musée ils sont techniciens de surface ou jardiniers bas de gamme. Même coupé d'une partie de son personnel, le Muséum d'Histoire Naturelle fonctionnait toujours. Et puis sans vouloir me vanter, je crois que j'assume à moi seul le travail auparavant effectué par quinze personnes. Par ma simple présence divine les végétaux grandissaient normalement en pleine santé.
J'ai pu également remarquer qu'il y avait moins de visiteurs... L'ambiance générale n'est pas forcément aux mignonnes sorties culturelles en famille après tout. Au moins, les humains étaient toujours autorisés à visiter le lieu. En mon for intérieur, j'étais ravi d'avoir pu planter mes racines et m'épanouir dans ce musée qui de toute manière n'intéressait pas beaucoup les vampires. Qu'est ce que ces créatures peuvent comprendre de la nature après tout, eux qui contreviennent par leur existence au cycle naturel des choses ?
Cet emploi m'offrait une tranquillité toute relative. Je pouvais être moi-même tout en ne me faisant pas trop remarquer. A première vue, j'étais un botaniste comme les autres, physiquement semblable aux humains, mais ayant une main verte tout à fait surnaturelle. De plus, proche et en communion avec mon élément je me sentais plus fort et plus serein. Les problèmes de l'extérieur s’effaçant légèrement quelques heures par jour.

Aujourd'hui était une journée comme les autres en somme, occupé à entretenir les arbres fruitiers sous la verrière du jardin d'hiver. Je vérifiai qu'ils étaient en bonne santé. Il me suffisait de poser ma main sur un tronc pour projeter mes sens dans le végétal et lui apporter vitalité et force. Lorsqu'il fallait inspecter la cime des arbres, je préférai demander à un collège orque manutentionnaire de m'apporter un escabeau pour grimper au sommet. Il aurait été très simple pour moi de grimper aux branches, ou même de faire baisser une branche vers moi pour me faire monter tranquillement. Mais bon, la frime serait pour plus tard.

Mes sens détectèrent tout à coup une aura et un parfum connu. Quelqu'un que je connaissais, que j'avais déjà rencontré. Me plaçant discrètement dans un coin de la pièce, je sondai la grande verrière d'un rapide coup d’œil, me révélant les auras de tous les individus présents. Un peu plus loin, je voyais une aura humaine, tout à fait banale. Elle venait d'une jeune femme, simple visiteuse parmi les autres. Mes souvenirs ressortirent en cascade, symboles d'un moment où javais été imprudent. Mais il s'agissait alors d'une question de vie ou de mort. Cette humaine attaquée par des vampires, proie que qu'avais pu subtiliser in extremis aux prédateurs. Elle ne pouvait pas me reconnaître, je l'avais laissé inconsciente dans un endroit en sécurité avant de disparaître dans la nuit. J'avais risqué gros, mais cette femme était visiblement toujours en vie, et ça me remplissait d'une certaine fierté.
Un élan de curiosité m'envahit également. Qui était-elle ? Je suis un dieu spontané, et avant d'avoir réfléchi à ce que j'allais lui dire je m'avançai déjà dans sa direction.
Elle avait l'air un peu perdue... J'arrivai à sa hauteur, arborant un sourire rassurant et chaleureux.

- Bonjour Mademoiselle. Est-ce votre première visite au musée ? Puis-je vous aider peut-être ? Je travaille ici.

Comme un parfum de déjà-vu

Yarilo & Amelia

La notion de travail m'était assez nouvelle, coïncidant avec l'arrivée du monde moderne et industrialisé. Dans les temps anciens, mes plus fidèles adorateurs étaient prêts à se battre pour obtenir l'insigne honneur de me servir personnellement. J'aimais voyager, et ainsi tel un roi entouré de sa cour je parcourrai les terres et forêts de Russie. Désormais j'étais seul, et trouver un travail devint une nécessité au moins pour ne pas m'ennuyer. Par exemple, pendant toute l'ère soviétique je m'étais fait ouvrier agricole dans un kolkhoze, ces grandes fermes sous la tutelle du parti communiste.
Je dus néanmoins quitter la campagne pour m'installer en ville car la possibilité de pouvoir "recruter" de nouveaux adorateurs y était plus importante. La population des villes avait en effet eut tendance à m'oublier, alors que chez les gens de la campagne mon souvenir était beaucoup plus vivace.
Je pensais que le fait de devoir travailler allait être affreux à supporter. Certes, au fond de moi je trouvais ça terriblement dégradant pour une divinité, mais je le vivais beaucoup mieux que je ne le pensais. Etant un dieu sociable, j'aimais voir et rencontrer du monde. Et je faisais malgré tout des tâches qui me plaisaient. Si désormais je n'étais plus si insouciant, je restai tout de même optimiste quant aux chances pour les dieux de refaire surface sur le devant de la scène.  

La jeune femme devant moi était une des petites choses curieuses qui faisaient pétiller ma si longue existence. Il s'agissait d'une humaine assez lambda à vrai dire, avec ses forces et ses faiblesses certainement. Pas la plus intelligente ou la plus belle... Ou même la plus fertile pour la reproduction de son espèce (oui je pouvais sentir le potentiel de fertilité de tout être vivant). C'est affreux ! Je suis certainement blasé de la vie mais en même temps lorsque cela fait des millénaires que j'arpente ce monde. J'en ai vu passer des charmantes créatures... Me reproduisant également avec un certain nombre d'entre elles.
En réalité, avec une certaine vanité je voyais au premier abord cette femme comme digne d'intérêt parce que je lui avais sauvé la vie. J'avais en quelque sorte trompé le destin, en permettant à une âme de vivre alors qu'elle était destinée à mourir sous les crocs d'un vampire. J'étais curieux de savoir qui était cette personne et même ce qu'elle allait faire de cette vie rendue plus longue grâce à mon intervention. Au moins, elle me paraissait tout à fait sympathique, ça m'aurait fait mal d'avoir sauvé une garce après tout. Et puis elle marqua immédiatement des points dans mon estime en faisant des compliments sur mes plantes.

- Je vous remercie. Même si je les aide à se développer croyez-moi ces plantes se sentiraient beaucoup mieux dans la nature. Mais c'est important de rappeler aux citadins qu'au delà des murs de béton il existe ces merveilles n'est ce pas ?

Si ça ne tenait qu'à moi je détruirais toutes ces villes grises et sales en faisant jaillir la force de la Nature dans toute sa gloire. Mais mieux valait me taire sur ce point pour l'instant.

- Ne vous excusez pas. C'est tout à votre honneur de savoir encore vous émerveiller devant les plaisirs simples de la vie...

Je me mordis un peu la lèvre tout en souriant de manière gênée. Je m'étais rendue compte que je devais m'exprimer comme un grand père alors que j'avais la frimousse d'un jeune adulte. Je ne me ferais jamais vraiment à cette époque... Néanmoins je repris vite une posture de jeune homme sûr de lui. Sa destination me renfrognait quand même un peu. La théorie de l'évolution, voilà un beau tissu de conneries. Le monde avait été forgé par nous les divinités. Nous avons donné vie à toutes les créatures qui l'habitent. J'étais né dans le fracas d'une des premières tempêtes et j'avais apporté le tout premier Printemps. Et ce n'est pas un tas de vieux os de dinos et de singes devenus hommes qui allaient contredire ça.

- Je peux vous accompagner là bas si vous voulez ? Le musée est très grand et c'est vrai qu'en ce moment notre effectif est vraiment réduit. C'est même un peu triste toutes ces grandes salles presque désertes.